L'équipe du Cheeta
J'aime les stages...
Outre l'aspect un peu intensif de la pratique, généralement 5 à 6h par jour (encore que, point besoin de stages pour pratiquer un tel volume, et cela m'arrive encore relativement fréquemment ), c'est l'occasion pour l'enseignant que je suis de se faire corriger par certains experts plus expérimentés, d'explorer de nouvelles perspectives et de revisiter les anciennes... C'est également l'occasion de retrouver les anciens de la communauté Française du Systema, petit milieu dans lequel, pour le moment encore du moins, presque tout le monde se connait.
Je rentre récemment d'un week-end bien remplit durant lequel j’ai eu la joie de transpirer (un peu), de prendre conscience des points à peaufiner (beaucoup) et de passer un bon moment en compagnie de partenaires et d'un instructeur de qualité. Pour les lecteurs de ce blog qui l'ignoreraient, il se trouve que j'étudie également le décodage du non verbal depuis plusieurs années et, pour autant que cela fonctionne, cela permet de saisir parfois quelques petits détails qui échappent au plus grand nombre.

Alors que nous admirions le travail de l'instructeur* qui augmentait graduellement sa vitesse de travail avec un de mes amis également enseignant, nous nous furent peinés de constater que, de toute évidence, le travail jusqu'alors propre et relativement exemplaire venait de basculer… L'un des attaquants venait de se perdre et une part de son psychisme étais en train de lutter contre lui meme...
Il ré-attaquait l'instructeur sans grande conviction, celui ci le frappa plus durement encore...
La scène se répéta encore et encore... nous détournâmes les yeux au bout d'un temps incroyablement long.
Apres avoir vu une vidéo dans laquelle l'on observe 30 personnes se faire trancher la gorge, est-il bien besoin d'en regarder une 31 eme? D'un certain point de vue oui, bien sur : il nous semble important de ne pas se leurrer sur cette réalité qu’est l’existence d’une certaine forme d'agressivité et de violence chez l’être humain. Cela tombe bien, nous pratiquons des arts martiaux et nous tachons précisément de nous familiariser avec cette violence qu'elle soit en nous ou à l’extérieur de nous.
D'un autre point de vue, à mon 30 eme cadavre j'éprouve généralement l'envie (bien avant en fait, vers le 10 ou le 11 eme d'ordinaire sauf les jours de pluie) de faire autre chose de mon existence, à moins qu'il ne s'agisse d'une pratique particulière visant, précisément, à travailler son acceptation de ce pan de la réalité ou de ce que cela réveilles en nous. Nous détrournames donc notre regard et nous remirent à travailler à notre propre progression, conscients du fait que ce qui se jouait devant nous était, au final, guère de notre ressort...
Jusqu'à ce que mon ami ose aborder la question devant tout le monde à l'occasion des traditionnelles "questions" de fin de séminaire... J'ai toujours aimé poser des questions. Durant ma scolarité chaque nouvelle notion m'amenait un flot de questions intarissables que le cadre scolaire peinait à contenir. En tant qu'enseignant les questions représentent pour moi un moment privilégié à de nombreux titres (liste non exhaustive) :
- Il s 'agit pour moi, de par la teneur des questions, et les autres implicites qu'elles contiennent, d'évaluer à quel degré le message initial a été reçu et ce qui en a été fait.
- Certaines questions peuvent relever des points de vue originaux, innovants, déroutants même, et/ou parfois pouvant nécessiter de ma part un complément de formation, qu'il s'agisse de la mienne ou de celle des élèves.Prisent ainsi elles sont une part importante de mon évolution personnelle...Et à ce titre je me réjouis de voir a quel point le niveau de mes élèves et de leur questions monte d'année en année.
- La présence de nombreuses questions révèle une mentalité pro-active dans la recherche d'informations, disposition préférable, de mon point de vue, à une certaine forme de passivité intellectuelle, hélas encouragée par de nombreux systèmes préférant contrôler les apprenants que de les élever au plus haut niveau possible.
Hélas, ici aussi la question de mon ami ne fut pas entendue. Dans la salle régnait un malaise palpable. Il venait de questionner une des "'illusion groupale" du systema. Chaque groupe social se fonde sur un certain nombre de mythes fondateurs.Nous en avions deniché un...
Cette mythologie, généralement inconsciente donne au groupe son "identité", la différencie des autres et lui donne une part de ses caractéristiques. Si elle demeure nécessaire afin de permettre l’existence de la dynamique sociale, elle reste porteuse de certains inconvénients. Outre son aspect inconscient, elle est génératrice de "tabous" c.a.d de points qu'il n'est pas bien vu de soulever sous peine de subit l'opprobre générale.
Ne dramatisons pas, mon ami ne finit ni hué ni couvert de goudron et de plumes, néanmoins bien peu ce jour la semblèrent avoir compris le sens même de sa question. Comme celle ci constitue donc semble t'il une "tache aveugle" dans la carte du monde de nombreux pratiquants il m'a semblé utile de développer ce point au cours de ce billet.
En systema, une large part de la pratique s'effectue à vitesse lente, nous avons déjà abordé ce point dans un précédent article.
Or il n'est pas rare de voir certains instructeurs, même au plus haut niveau bouger et frapper à 80% un partenaire attaquant à 30% Si cela peut avoir un certain intérêt pédagogique (ne serait ce que tester ses impacts, sa lucidité et son état psychique lorsqu'on "lache" un peu les coups), il semblerait que cela ne soit que rarement compris comme tel.
Il faut dire que je ne l'ai jamais entendu expliqué.
Un peu comme ici par exemple : S'autoriser à appuyer ses coups peut être extrêmement bénéfique pour ne pas rester bloqué dans le "slow motion", la vitesse et l’intensité étant des facteurs à considérer dans une situation réelle.
Néanmoins beaucoup semblent confondre ce type de travail avec des "démonstrations d'habilité" dans lequel un super instructeur frappe goulument quelques gentils "partenaires plastron" dont on ignore trop souvent l'état des cottes le lendemain de stage. Entendons nous bien, je ne critique pas ce type de travail. Simplement il me semble important de soulever plusieurs points :
- Se défendre à 80% sur des attaques à 30 % ne représente pas une incroyable démonstration d'habilité pour des gens ayant quelques années de pratique.
Tout au plus peut on y voir un "flow libre", une expression artistique du travail effectué par l'artiste martial. Ce peut être une façon de partager ses choix technico-tactiques par exemple. Cela ne prouve rigoureusement rien et, à vrai dire, jadis irrité (la fougue de la jeunesse?) par ce type de rituels de domination (appelons un chat un chat voulez vous) je me suis maintes fois essayé à "tester" certains vaniteux (à vaniteux, vaniteux et demi...Mais cela je ne le savait pas à l'époque...:p) et les résultats n'étaient que trop rarement conforme à l'image de pseudo maitrise renvoyée au tout venant...
A ce titre j'ai été particulierement conquis par un instructeur fort réputé pour ses qualités humaines qui, lors d'un travail un peu "appuyé", s'est retrouvé en très très mauvaise posture par rapport à moi...il aurait passé un salle quart d'heure...Mais son humilité m'amena à renoncer à la simple envie de lui décocher un coup de poing appuyé. A quoi bon après tout lorsque l'on est en aussi bonne compagnie, se battre...Il avait gagné par le cœur...Sans compter que le fait de me retrouver ainsi sur lui aurait été ardu à reproduire !
Pourtant ce type de démonstration fait marcher le business. Les pratiquants en recherche de merveilleux peuvent s'identifier au professeur, lequel leur vendra ensuite les T shirt et autres DVD leurs permettant de rejoindre ce substitut paternel projeté le temps d'un stage éphémère. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de retrouver dans ce type de "grand messe" la plupart des éléments largement décrits en psychologie sociale. Les affaires sont les affaires. Ca ne serait pas gênant de mon point de vue si ce type de pratique n'étaient guère compatible avec la présence à soi même que réclame un combat de survie. Dit autrement si ce type de travail n'est pas préjudiciable au niveau exotérique (ou les DVDs sont tres utiles pour apprendre les katas, connaitre les drills etc.), elle deviens franchement bloquante au niveau mésoterique (et on s'en fout totalement au niveau ésotérique...;p ).
Pour cette raison je fait toujours attention de former un minimum mes élèves aux notions de "dynamiques sociales" et aux pressions psychologiques qui peuvent y être liées. Grades, ceintures, DVDs, T shirt, tout ce merchandising, si il ne nuit pas directement à la pratique (encore heureux), utilise bien souvent des modus opéranti partiellement antinomiques avec la propre réalisation de l'apprenant. Si l’élève réalisait que nous n'avons rien à lui apprendre ma bonne dame, qu'est ce qu'on lui vendrait ? Peut être les clés de son indépendance...Mais c'est tellement moins rentable!
Le deuxième point sur lequel j'aimerais insister avant de conclure se billet est le ratio puissance de frappe/capacité d'encaissement. Pour etre passé derriere un nombre incalculable de corps en sortie de stage ( Non que j'ai viré de bord, simplement mon gout pour les thérapies manuelle me fait souvent remettre une nuque ou un dos ici ou la) je m'inquiette sincerement sur les impacts sur la santé du mépris de ce facteur elementaire au nom du culte d'une pseudo-éfficacité de l'expert présent.
Je m'étonnes d'autant plus que j'ai suffisamment pratiqué pour savoir qu'une bonne frappe de systema est suffisante pour déplacer une structure sans avoir besoin de chercher à léser les tissus, surtout sur des partenaires attaquant avec aussi peu d'intention (si on se bat c'est bien sur autre chose). Je m'inquette de la fréquence de ce genre de comportements chez certains experts, même si je sait depuis longtemps que l'expertise technique (éxoterique) est une chose et que le calme émotionnel (mésotérique) en est une autre et que l'on peut, comme je l'ai vu récemment, sembler maitriser à la quasi perfection la notion de "point zero" du systema et frapper tout de même bien trop fort pour les cartilages des pauvres stagiaires soumis à la pression sociale.
Heureusement pour moi lorsque je sent que ca va partir, les kamaes du ninjutsu semblent plutôt bien me protéger mais quid de ceux qui n'ont pas de tels systèmes de protection non enseignés dans le systema civil? On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs vous me direz. Mais les russes ne sont pas connus pour leurs omelettes...
* Pour les personnes qui étaient la à ce stage et pensent savoir de qui il s 'agit je vous invite à prendre ce billet d'une manière générale, celui ci n'étant absolument PAS dirigé contre qui que ce soit en général et encore moins contre quelqu'un en particulier. Les tendances décrites ici furent observé durant des années par moult instructeurs (et pas par tous, heureusement) et ne disent d'ailleurs rien sur la qualité humaine des uns et des autres. Nous serions je crois peinés mon ami et moi meme si ceci n'étais pas compris et que ce billet étais réduit par certains lecteur au "taillage" de X ou Y. Ce serait vraiment passer à coté de ce qui est exprimé.